AFBH-Éditions de Beaugies 
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Songe à ne pas oublier-XIII

QU’EST-CE QU’UNE PENTECÔTE ?

Pas seulement se risquer sur les routes un week end Printanier…

La « Pentecôte », pour la plupart des gens, c’est l’occasion d’une descente printanière dans le Sud de la France en quête de soleil, suivie d’un retour périlleux au fil d’un week-end meurtrier dont on pense pouvoir réchapper. Pour quelques connaisseurs – il y en a encore – il s’agit plutôt de commémorer un événement spirituel, la descente de l’Esprit sur un groupe d’apôtres resserrés, leur donnant soudain la lumière et la force de partir révéler au monde le mystère du Dieu-Amour qui les habite et les fait vivre.

En ce qui concerne mon propre cas, du temps où j’étais déjà jeune (il y a 70 ans), ce mot mystérieux « pente-côte » m’apparaissait surtout comme un oxymore espiègle, dont le sens correspondait vaguement à la formule connue d’André Gide : « Il faut suivre sa pente quand elle monte. »

C’est bien après que j’en ai appris l’historique et le sens, en cours de catéchisme.

L’étymologie de ce terme appartient à la tradition judéo-chrétienne, et donne lieu, comme beaucoup de termes de cette tradition (« Chemin de Croix », « Assomption », « Épiphanie », etc.), à une sorte de mythe indissociable de notre héritage culturel.

Du grec Pentekosté, « Cinquantième », la fête de la Pentecôte désignait, chez les Juifs, le cinquantième jour suivant la « Pâque » où avait lieu, rituellement, une fête agraire rassemblant des fidèles et des juifs pieux émigrés dans toutes les contrées du Moyen Orient, pour célébrer, par l’offrande à Dieu de divers sacrifices, la moisson ou les prémices des dons de la terre. Du point de vue de l’histoire du christianisme, racontée par Luc (à la fin de son Évangile et au début des Actes des Apôtres), c’est au cours de cette période de l’Année 30, après la Crucifixion du Christ et sa Résurrection, cinquante jours après la Pâque, que va avoir lieu ce nouvel événement fondateur.

S’étant fait reconnaître de ses disciples, le Christ ressuscité les a d’abord rejoints pendant une quarantaine de jours pour leur faire comprendre le sens de son sacrifice, la Rédemption. Puis un beau matin, il leur annonce son départ, promet de leur envoyer la puissance de l’Esprit, et disparaît à leurs yeux en s’élevant dans le ciel : c’est l’Ascension.

La Communauté des Apôtres se resserre alors dans Jérusalem, à la fois dans l’Espérance, vu ce que lui a promis le Christ et dans la crainte, ignorant exactement ce qui va lui arriver. C’est alors que, le cinquantième jour, celui où se déroule précisément la Pentecôte juive, l’événement espéré, quoiqu’inattendu, se produit :

« Soudain vint du ciel un bruit comme d’un violent coup de vent qui remplit toute la maison où ils étaient assis, et ils virent des langues, comme de feu, se partager et se poser sur chacun d’eux, et tous furent remplis de l’Esprit saint et commencèrent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de les prononcer. » Luc (Actes, II, 1-4)

Ils se lèvent alors, proclament aussitôt à la foule autour d’eux la bonne nouvelle de la résurrection du Christ, opérée par Dieu même, et le don de l’Esprit à tous ceux qui veulent croire.

Ce signe prodigieux qui authentifie la présence de l’Esprit en eux, c’est bien entendu l’audace et la force soudaine qui les transporte, mais aussi, miracle dont rêve tout orateur, le fait qu’ils parviennent instantanément à se faire comprendre de tous ceux à qui ils s’adressent* : l’Esprit « traduit » en temps réel leur discours dans la langue des auditeurs. L’Esprit est toujours puissance et clarté.

Lorsque fut décidé le concile « Vatican II » par le Pape Jean XXIII, il était courant d’entendre dire que l’Église attendait de cet événement « une nouvelle Pentecôte ». C’était le moins qu’on eût pu en dire, en langage chrétien. Mais c’est aussi l’indice que « la » Pentecôte historique, fondatrice, était devenue, culturellement, un modèle d’événement collectif, et sans doute aussi personnel, au cours duquel une saisie époustouflante de l’Esprit semble transformer de façon inouïe notre nature bien humaine, dans certaines circonstances de nos trajectoires existentielles (si j’ai tendance à insister sur les critères personnels de ladite expérience, c’est que tous les délires collectifs, fussent-ils « religieux », ne sont pas forcément des pentecôtes, cf. les ambiguïtés du « souffle » de mai 68).

Cela dit, comme je l’ai fait pour le mot « annonciation », en tentant d’y voir une sorte de symbole laïcisé d’une expérience humaine courante, je me livrerais bien volontiers à une observation similaire en ce qui concerne toutes ces « pentecôtes » qui nous métamorphosent, lors de moments inattendus, longuement mûris, de notre développement.

Je suis sensible au déroulé de trois phases : celle d’une promesse qui nous semble faite ; celle du grand vide soudain, où tout ce qui était présent en nous semble déserter notre for intérieur, comme si nous étions les orphelins d’un héritage promis qui nous échappe ; et puis, en phase 3, au moment où l’on ne s’y attendait plus, l’avènement de l’événement annoncé ! Tout se passe comme si la période ingrate du désert intérieur était un temps nécessaire de maturation inconsciente, un hiver précédent l’éclosion soudaine d’un printemps dont on avait fait le deuil. Le travail de deuil était, en réalité, un travail de renaissance…

Je vois ce type d’enfant prometteur, qui entre comme à rebrousse-poil dans la longue période de son adolescence. Il paraît ne s’intéresser à rien, il ne fait que « glander et « bâfrer », comme s’il ne faisait qu’une cure de sommeil à demi éveillée, inerte et sans désir. Cependant, bien au-dessous de cette apparence où il ne fait que traîner son corps et ses baskets, l’éclosion imperceptible se prépare. Et puis, un beau jour, c’est l’envoi : la parole et le désir se saisissent de lui, il sait enfin ce qu’il veut. Et il le veut de toute la force de ce désir si longtemps « maturé ». Il a opéré sa pentecôte. Cette éclosion qui fait enfin sortir de soi pour porter ses fruits.

Même comparaison, plus facile sans doute, avec ce qui se prépare dans certaines collectivités humaines, qui ont paru perdre leur sens, et puis qui ignorent ce qui se passe en elles, en certains de leurs membres, lesquels, soudain, vont les régénérer, etc. Comme aucun n’exemple ne me vient à l’esprit au moment où j’écris cela, vous en trouverez bien à ma place. Toutes les communautés vivantes ne passent-elles pas par des pentecôtes ?

Lorsque j’avais commenté le phénomène de l’annonciation, j’avais rappelé que toute déclaration d’amour s’y apparentait. Cela me suggère l’idée qu’au fond, la « Pentecôte » est une sorte d’Annonciation seconde qui vient confirmer et redimensionner, au niveau collectif, la lumière et l’élan de l’Annonce première (la déclaration d’un Amour absolu).

Dans le sillage de cette analogie, je trouve également une certaine parenté entre une « pentecôte » et le phénomène de « cristallisation » (« Christ-allisation ? ») que Stendhal analyse dans l’éclosion du désir amoureux : celui ou celle qui aimait sans daigner s’en apercevoir, tout à coup prend conscience de la nature et de la puissance du sentiment qui le ou la transporte en présence de l’Aimé-e, et c’est comme une révolution intérieure (une « conversion » à soi-même).

L’expérience spirituelle de la « Pentecôte » ne ferait que reproduire à un degré sublime un phénomène ordinaire, plus « étale » et moins torrentueux. Bien sûr, les choses de la vie se précipitent parfois, se couvrant alors des signes d’une théâtralité événementielle qui nous paraîtra sur-naturelle. Mais au sein de la nature, le plus souvent, le miracle quotidien de la Vie n’a pas besoin d’être spectaculaire pour opérer en douceur et en profondeur.

Une fois de plus, ce qu’on attribue à la surnature était déjà là, patiemment, à l’œuvre dans la nature.

Songeons-y : qui n’a vécu, silencieusement, certaines pentecôtes ? Il n’est jamais trop tard pour s’en rendre compte…

Le Songeur  (16-09-2021)


* Au cours de ce phénomène (dit de glossolalie, « parler en langues »), on ne sait pas trop bien, en lisant de près le récit de Luc, si le miracle vient de ce que les apôtres, galiléens d’origine, sont tout à coup, dans une sorte de « transe », capables de parler toutes les langues sans les avoir apprises, sous la dictée de l’Esprit, ou si leurs discours, énoncé dans leur propre langue, est reçu par tous les étrangers comme traduits dans leur idiome respectif. Il est simplement précisé qu’une partie du public les croit « pris de vin », tandis que les autres s’étonnent « Comment se fait-il que chacun de nous les comprenne dans sa propre langue natale ? » (Luc, Actes, 2, 8). Quant à Pierre, qui prend alors la parole pour expliquer fortement à la foule que ses compagnons ne sont pas saouls, mais qu’ils annoncent le royaume de Dieu, il est supposé s’exprimer dans sa langue habituelle…



(Songe à ne pas oublier suivant (XIV) : « UN RITE ÉTRANGE : L’OFFRANDE LITTÉRALE » )

(Songe à ne pas oublier précédent (XII) : « QUE PEUT VOULOIR DIRE « PERDRE LA FOI » ? » )