Ma pauvre enfant, je me souviens
De tes yeux, ce soir-là, éperdus
Tes grands yeux vides et atterrés
Comme si tout t’abandonnait…
Ton regard s’allongeait jusqu’au bout du couloir
Pour m’empêcher de m’en aller,
Et moi, deux fois grand-père, imbécile et heureux,
Qui ne soupçonnais rien,
Je n’avais pas su lire dans tes yeux
Qu’en silence soudain ton monde s’écroulait !
Ce cadeau qu’on t’avait fait espérer,
La venue d’un nouveau-né,
Tout à coup te révélait
Ce que pas un ne t’avait dit :
Qu’un beau jour, toi aussi, tu perdrais
Ton paradis…
Abasourdie dans le couloir, tu errais loin du lit
Où reposait l’intrus collé à ta maman,
Tu n’étais plus l’aimée,
Comme avant !
Tu n’étais plus la préférée !
Tu n’avais plus où te blottir, ni où pleurer,
Tu ne pouvais nommer ce que jamais tu n’eusses imaginé :
Toi, la première, toi l’Aînée,
Longtemps radieuse et couronnée
Tu t’es vue simplement pour toujours détrônée
Du royaume où tu régnais.
— L’enfant ne se sent plus aimé lorsqu’il n’est plus le préféré
Ô petite fille que j’aimais,
Ton regard hante encor les couloirs de ma nuit
Désolée…
Pourquoi, oh mais pourquoi
Ne suis-je pas
Revenu sur mes pas pour te prendre en mes bras ?
Le Songeur (20-04-2023)
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