AFBH-Éditions de Beaugies 
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Les Jeudis du Songeur (278)

L’ÉTAT, C’EST MOI

Je l’ai souvent affirmé : À chaque jour suffit sa joie. La devise épicurienne « Cueille le jour présent », reprise par le poète latin Horace, signifie très exactement : Reconnais le Présent que t’offre chaque jour.

Encore faut-il discerner où se cache cette joie que nous promet chaque jour, dans la mesure où elle prend souvent la forme de contretemps auxquels aucun citoyen n’échappe, comme le sont certaines factures qui nous échoient sous le vocable officiel de « contraventions ».

J’en ai fait l’expérience il y a peu, alors que, dès 1956, Raymond Devos m’en avait averti. J’avais le tort d’avoir oublié sa leçon que voici :

L’État c’est moi, c’est vous, c’est nous, et quand bien même il vous assomme, il faut savoir décrypter le chemin de bonheur que ce K.O. recèle.

Raymond Devos, donc, avait garé son véhicule le long d’un trottoir où ce n’était pas permis. Comme il semblait proche de se sentir victime, le gendarme qui l’avait sanctionné lui expliqua avec bienveillance qu’il ne devait pas se juger puni pour conduite délictueuse (notez la rime de ce mot), mais honoré de l’appel à l’aide que lui adressait l’État nécessiteux. Il devait se sentir avant tout donateur, tel un « petit Frère des Pauvres », en songeant que ce versement à l’État dont il était citoyen s’adressait en quelque sorte à lui-même, en contribuant à diminuer une dette souveraine de nature collective :

« Vous comprenez, disait l’Agent, au lieu de s’humilier en mentionnant sur un écriteau Ici, la mendicité est autorisée, l’État avait trouvé plus digne de rappeler la Loi sur un poteau stoïque : Ici, le stationnement est interdit. En cotisant par sa modeste amende, le citoyen en infraction était remis dans le droit chemin, celui du civisme bien heureux. Là se vivait une vraie joie de chaque jour.

Vous l’avez compris, en tant que citoyen français normalement constitué, j’ai à la fois commis une infraction dont j’ai honte*, et tenté de me « racheter » de cette conduite par l’envoi désintéressé d’une somme de 45 euros aux services officiels qui l’ont acceptée.

Heureux d’avoir ainsi pu faire amende honorable, j’ai même eu la curiosité de lire, au verso de la notice de paiement, les précisions fournies aux conducteurs responsables (dont je veux être) sur l’emploi de cette somme. Je cite :

« En 2017, le montant des amendes issues des radars automatiques s’est élevé à 1,013 milliard d’euros.

Comment est utilisée cette somme ?

8,8%, soit près de 89 millions d’euros sont reversés au titre du désendettement de l’état.

91,2%, soit plus de 924 millions d’euros sont affectés et déployés à deux niveaux, national (Sécurité routière) et local (travaux publics, réseau routier, circulation territoriale).

Ainsi, j’ai contribué concrètement, en tant que membre du peuple souverain, au désendettement de l’État, qui est aussi le mien, et à l’aménagement du territoire qui me permet de mieux vivre en France. Comment ne pas se sentir euphorique, en prenant conscience de l’utilité de toutes ces infractions. S’il n’y en avait plus, il faudrait en ré-inventer…

Et un grand merci à l’Agent verbalisateur N°151434, qui m’a valu ces joies.

Le Songeur  (9-12-2021)


* Très précisément, j’ai commis le 10/11/2021 à 10h10, sur l’Autoroute A1, dans le sens Paris-Province, au niveau de LEBLANC MESNIL 93150), un excès de vitesse de 117km/h (contrôlé par un radar) là où la vitesse limite autorisée est de 110km/h. Si ma mémoire est bonne, c’est peu après le passage de la limitation de 90km/h à 110km/h. On a alors tendance à accélérer enfin, et je crois bien que j’étais pris dans un flux de véhicules dont beaucoup me doublaient. Mea culpa.



(Jeudi du Songeur suivant (279) : « L’ODYSSÉE DU MONT SISYPHE » )

(Jeudi du Songeur précédent (277) : « LE RÉEL EXISTE, JE L’AI RENCONTRÉ : HÉ OUI ! » )