AFBH-Éditions de Beaugies 
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Les Jeudis du Songeur (277)

LE RÉEL EXISTE, JE L’AI RENCONTRÉ : HÉ OUI !

Le Réel existe, et je l’ai rencontré. Enfin !

Cette découverte, je ne l’ai pas faite en contemplant la caverne de Platon, où résident les idées pures qui qui font l’objet de mes « coups de songe ».

Non : je l’ai directement extraite de la cave de ma mère, où la destinée m’a conduit à lancer quelques « coups de sonde ». Il fallait bien me sortir d’embarras imprévus.

Voici les faits :

Dans la maison de celle qui m’a donné le jour, dont j’ai hérité, il se trouve une cave dont le sol est en terre battue. Surplombant cette maison, il existe une belle colline dont le sol regorge de sources qui sont parfois drainées. En cas de temps pluvieux, et même sans pluie, l’Eau, qui tend à s’écouler vers le bas pénètre dans la Cave, et forme quelques flaques qui amollissent le sol mécontent d’avoir été battu. C’est ainsi, c’est comme ça, c’est la réalité, dit-on.

Or, tout le monde le sait : la Terre, c’est la vie ; l’Eau, c’est la vie. Mais lorsque l’Eau se mêle à la Terre, la Vie devient boueuse. Ma Cave dans la boue : ce fut cela, le Réel.

Quiconque cesse de rêver du Père Noël et décide de mettre enfin les pieds sur terre, se retrouve les pieds dans l’eau terreuse. C’est ça, le Réel. Et je viens de le rencontrer. Le Réel, c’est une longue marche qui fait floc-floc dans la vase, au risque de faire glisser celui qui entend coûte que coûte se sortir de la merde. Telle quelle.

La solution ? Les réalistes vous le diront : il n’y a pas à tortiller. Il faut diviser pour régner. C’est-à-dire séparer l’eau de la terre, et pour cela, pomper — on appelle ça « principe de réalité ». Et cela, dans leur inégalable bon sens, même les shadoks l’avaient compris. (« Tout avantage a ses inconvénients et réciproquement. » ; « tout ce qui est arrivé peut avoir été prévu », etc. )

En la circonstance, concrètement, le Réel* vous offre le choix. Soit il suffit, rien n’est plus simple, d’emplir des seaux de vase qu’on jette à l’extérieur après avoir remonté les 20 marches de l’escalier qui mènent à la cave. C’est déjà ça, le Réel.

Soit vous tentez de procéder autrement, en phase avec la modernité :

Plus efficace est alors le recours à une pompe électrique dite « submersible ». Celle-ci, immergée, munie d’une hélice appropriée, expulse l’eau boueuse dans un tuyau qui la rejette dans votre jardinet ou sur le trottoir du voisin. Car l’ustensile, idéalement adapté au Réel, est pourvu d’un flotteur subtil qui se maintient dressé à la surface de l’eau à vider, et au bas duquel une petite boule d’acier crée le contact qui met en marche l’hélice. Voilà bien un système hyper astucieux tant que la profondeur de l’eau frise les 90cm, ce que j’ai expérimenté, mais un peu problématique lorsque le niveau de l’eau n’est plus qu’à 25cm — car le flotteur étant retombé au niveau de la pompe qui dépasse alors le niveau de l’eau, et donc devenu quasi horizontal, la bille d’acier roule librement et n’assure plus le contact nécessaire. C’est fort ennuyeux, certes, mais C’est aussi cela, la Réalité. On doit alors se mettre tout contre la pompe, maintenir à la main le flotteur bien cambré, et l’on arrive enfin, tant bien que mal, mais surtout assez mal, à résoudre en quelques heures le problème posé par le réel, avec un bon lumbago. D’ailleurs, selon toute probabilité, même les shadoks ont procédé ainsi.

Sacré Réel, nom de Dieu !

Mais attention : ce n’est pas parce que l’on a miraculeusement rencontré le Réel qu’il faut lui rendre un culte et en faire sa religion.

Ce n’est pas parce qu’on a les pieds dans les bottes et les bottes dans la mouise qu’il faut garder les yeux rivés sur la vase : levons la tête, de grâce !

Jetons nos regards vers le ciel, plus haut que les nuages ! De grâce !

Car il existe aussi dans les cieux un Surréel à rencontrer : Songez, de grâce !

« L’Azur ! L’Azur ! L’Azur ! L’Azur ! »**

Le Songeur  (2-12-2021)


* Parenthèse : Je dis bien Réel, terme hautement masculin, pour désigner ce dont je parle, mais j’ai tout aussi bien pu dire Réalité, vocable grammaticalement féminin, qui le vaut parfaitement, car je suis sans préjugé sexiste sur le choix des termes qui désignent les choses. Pour moi, il est aussi infondé de qualifier le sexe féminin de « deuxième sexe » que de « premier ». Il est à mes yeux l’ex aequo absolu du sexe masculin. Au point que je proposerai à tous de le nommer tout bonnement le sex-aequo. Avec cet avantage appréciable qu’on peut l’entendre « sex-éco » (« éco » = maison) ou encore « sex-écho » (qui invite hommes et femmes à chanter de concert), et j’en passe. Fermons la parenthèse.

** Mallarmé (1842-1898).



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