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Feuilleton de l'été : le Cérébro-scripteur

— Épisode 4 —

Jean-Pascal Félix explique à Jika, son épouse éblouie, le principe et le fonctionnement du Cérébro-scripteur.

— Oui, reprit Jean-Pascal : à l’arrivée, ça tombe sous le sens, mais au départ, ça ne saute pas aux yeux.

Il semblait songeur, le regard tourné vers l’au-delà. Plus attentive que jamais, Jika eut l’impression soudaine qu’il s’adressait, derrière elle, à un amphithéâtre peuplé d’hommes de sciences.

— Or, poursuivait notre chercheur, on distingue cinq types d'ondes cérébrales, selon leurs zones de fréquences : Alpha, Béta, Gamma, Delta, Thêta. Elles correspondent aux divers états, plus ou moins profonds, du sommeil et de l'éveil. D’où le premier problème que l’on devait se poser : laquelle de ces ondes est porteuse de pensée verbalisable ? Et la réponse, que je dus bien admettre : toutes, à des degrés divers ! C’est l’ensemble du cerveau humain qui n’arrête pas de penser et de rayonner. Tu peux bien sûr enregistrer chaque type d’ondes, les isoler les unes des autres, les mixer avec précaution, rien n’y fait, et tu ne t’en trouves guère plus avancée. Je me suis moi-même enregistré dans toutes les phases, et j’ai constaté qu’il y a danger à manipuler les ondes inconsidérément. On risque de produire des courts-circuits dommageables.

— Par exemple ?

— Si tu insères trop de Béta dans un flux de Thêta, tu entends un petit bruit sec caractéristique, suivi d’une vive douleur aux tempes et d’une sensation d’abrutissement : les ondes Thêta claquent.

— Tu en as réchappé ?

— Difficilement. J’ai compris qu’il faut aborder le fonction-nement cérébral du langage d’un point vue non pas analytique, mais holistique.

— Holistique ? On dit pourtant que les centres de la pensée sont localisables, que chaque hémisphère du cerveau a sa fonction propre, l’un l’action, l’autre la pensée, l’un les maths, l’autre le français, et que...

— Je t’arrête tout de suite. C’est tout le cerveau qui pense et parle en même temps, la nuit, le jour, semi-consciemment, consciemment, ou inconsciemment !

— Et alors ?

— J’ai donc travaillé globalement. J’ai enregistré le flux global des ondes que produit ma propre activité mentale, en maîtrisant et modulant mes divers types de pensées, ainsi que leur intensité. Car tu sais que, par moments, on réfléchit fortement, puissamment concentré, et qu’à d’autres moments, on a l’esprit vide, plat, en plein degré zéro de la pensée. Et c’est alors que j’ai mis en évidence l’existence d’un type d’ondes que la communauté scientifique ignore encore (elle les confond avec les Alpha+) : les ondes Iota. Ce sont elles qui, dans le flux d’ensemble des ondes que nous émettons, identifient la présence de toutes celles qui sont porteuses de sens, leur servent de lien, et associent indissolublement leurs significations aux expressions langagières correspondantes. Tu me suis ?

— Oui. Alors, que te restait-il à faire ?

— Puisque les fonctions du langage et de la pensée sont synthétisées par l’ensemble du cerveau, à l’aide des fameuses Iotas, je pouvais déjà sélectionner dans mes enregistrements, les signaux porteurs de sens, par opposition à tous les bruits et radiations purement matérielles, organiques, qui ne cessent de l’encombrer. Bref, extraire les pépites de la gangue.

— C’est l’évidence. Et alors ?

— Alors, dis-moi : lorsqu’un mot, une chose, une pensée te vient à l’esprit, quelle est la représentation mentale qui émerge en toi ?

— Je ne comprends pas bien ta question.

— Je prends un exemple. Si tu évoques une cité ou si je te parle d’une cité, est-ce que tu vois la graphie du mot « cité », est-ce que tu entends en toi les sons qui composent ce mot, ou est-ce que tu saisis surtout le sens du mot (sa signification, ses images) ?

— Ben… les trois. Je vois plutôt l’image de la ville.

— Oui ? Et moi, j’entends plutôt la musique du mot. Mais en réalité, notre représentation mentale allie les trois : la sonorité, la graphie, le sens. Un appareil capable d’enregistrer et de transmettre nos pensées, c’est-à-dire des représentations à la fois mentales et verbales doit donc synthétiser ces trois composantes. Or, c’est ce que font naturellement en nous les Iotas. Tu me suis toujours ?

— Parfaitement, bien que par moments je n’aie pas l’impression d’avancer aussi vite que toi.

— Tu me précèdes peut-être. En tout cas, tu dois en tirer clairement la conclusion qui s’impose ?

— À vrai dire, euh… Si je comprends bien, ce sont les ondes Iota qui font le travail. Quand tu les enregistres, soit que tu prononces un mot, soit que tu le « visualises », soit que tu penses à son sens, c’est le signifiant électromagnétique du même vocable que tu saisis. C’est exactement ce que fait à sa manière le logiciel de reconnaissance vocale, lorsqu’il capte la matérialité sonore d’un mot. Il n’y a plus alors qu’à traduire ce signifiant électromagnétique en langage numérique. Est-ce bien cela ?

— Tout à fait !

— Ce qui suppose que tu puisses simultanément, pour la netteté de la transcription, amplifier ces signaux porteurs de sens ?

— Il me semble te l’avoir dit.

— Et tu n’as plus alors qu’à établir un lexique, voire un dictionnaire des signaux électromagnétiques, qui établisse cette correspondance entre les pensées-vocables que nous véhiculons dans notre tête et leur traduction numérique. En somme, un jeu d’enfants…

— Ah oui ? mais d’enfant patient, je te prie de le croire.

© Éditions de Beaugies, juillet 2014


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