AFBH-Éditions de Beaugies 
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Les Jeudis du Songeur (67)

LA CLAQUE

La claque, pour moi*, c’est ça :

      refus Gallimard

Rappel sur le contexte

J’ai en effet recueilli une quarantaine de mes « jeudis » ici publiés, sous le titre : La Larme de Rubinstein, et autres invitations à songer. Je les ai déposés chez Gallimard fin mars, Avec cette courte présentation de la matière (personnelle) et de la finalité (précise) de ce florilège :

« Le mystère du monde, des choses, des êtres, me laisse toujours songeur. Au point que je ne sais trop si je suis l’auteur ou le fruit de mes songes. Et je crois bien n’être pas seul à vivre ce syndrome du matin. Songer, c’est être traversé. Un rien suffit, et nous voilà vaguement saisis d’un « arrêt-sur-pensée », comme on parle d’arrêt-sur-image… On ne pense pas, au sens rigoureux du mot : on songe.

Un rien suffit : une phrase dont le sens revit, la résurgence d’émotions oubliées, des nostalgies sans objet, une larme d’admiration, le délire d’un fantasme, quelques humeurs critiques, une clarté didactique sur un thème complexe, et toujours le vertige qui revient face à la destinée des hommes. Mais à peine éclose, la rêverie s’estompe.

Ces vues d’un moment qui passe, j’ai voulu les fixer en de brefs éditoriaux inactuels. Peut-être parleront-elles à qui souhaite les accueillir et les partager.

J’écris ce que je songe pour donner à songer. » 

Deux mois et demi plus tard, je suis donc gratifié de l’aimable refus qu’on a lu ci-dessus. Certes, je sais gré à Antoine Gallimard de m’avoir répondu personnellement : à l’époque où fut publié Le Bonheur conforme, nous avions sympathisé, et il s’en est souvenu.

Mais le PDG du groupe Gallimard ne lit plus les manuscrits. Sa réponse « circonstanciée » est évidemment rédigée par l’un des lecteurs de mon « travail », au nom du Comité (avec un C majuscule). Voici ce que j’en pense :

Brève analyse

Paradoxalement, ce sont les « compliments » que l’on m’adresse qui m’ahurissent. J’y décèle en effet trois approximations :

  • Je n’ai pas médité sur la « forme » en soi d’une framboise, mais sur les préjugés des chercheurs qui éliminent a priori certaines pistes ; (cf. Jeudi n°5)
  • J’ai avant tout évoqué la formule mitterrandienne « Donner du temps au temps » pour en établir l’origine, citant certes au passage son attribution au pape Alexandre VII par le cardinal de Retz, mais pour en arriver au fait qu’elle provient de Cervantès ; (cf. Jeudi 10)
  • Je n’ai pas médité sur le « corps du Christ » dans l’œuvre de Pascal, mais montré en quoi son évocation de « l’agonie de Jésus » au jardin de Gethsémani, fait du Christ une figure emblématique de l’homme souffrant. (cf. Jeudis 13-14)

Trois allusions, trois déformations : le lecteur n’a pas lu ces textes, il les a survolés. Dès lors, il ne peut en sentir ni l’unité, ni la finalité précise. Au reste (lapsus ?), il recopie le titre du livre en oubliant sa fin : La Larme de Rubinstein, et autres invitations à songer.

Mon but, justement, n’est pas de convaincre le lecteur d’une thèse (comme dans un essai), mais de laisser éclore en lui des émotions ou rêveries stimulant sa propre réflexion.

Or, dans sa dynamique même, le Songe est protéiforme. Ses tonalités sont aussi diverses que ses sujets. Ce qui le traverse peut, d’un moment à l’autre, se révéler matière à rire, à réfléchir ou à gémir. Notre activité psychique est naturellement disparate. Ai-je donc eu tort d’en mimer le désordre dans ma kyrielle d’évocations, parfois contradictoires ? La « gêne » des lecteurs-Gallimard serait-elle aussi la vôtre ?

Chers Amis, j’entends bien, à la Rentrée prochaine, poursuivre cette série « d’éditoriaux inactuels ». Rendez-vous donc au jeudi 24 septembre.

Et pour ceux qui aimeraient un jour publier leur prose, n’oubliez pas la loi : « Il faut avoir plus d’énergie pour écrire que les éditeurs n’en ont pour refuser les manuscrits. » Sans cette énergie, qui nécessite d’être soutenue, je n’aurais pas publié une seule ligne des quelques 15 ouvrages qu’il m’a été donné de faire paraître.

Et ce n’est pas fini, mes pauvres…

Le Songeur  (02-07-15)


* Cette déconvenue est bien sûr sans commune mesure avec le drame réel de millions de chômeurs qui « non retenus », sont refusés dans leur personne même.


(Jeudi du Songeur suivant : « Burn out »)

(Jeudi du Songeur précédent (66) : « FLEURS DE JUIN (Toxiques 4) »)