Récemment, sur le parvis central d’une ville où il y avait un marché, dans la foule anonyme, je me suis tout à coup senti regardé. Par qui ? Depuis quel lieu ? Je l’ignore ; mais j’étais bien l’objet de ce regard, et je ne sais par quel mystère.
Un regard invisible me traversant, ou du moins, me dardant, quoique amicalement. On cherchait à me connaître. Ou plutôt à me reconnaître, m’ayant déjà connu dans un certain passé ? Qui ? Pourquoi ? Qu’avais-je fait, ou oublié de faire ?
On cherchait à me deviner, à s’étonner de mon être ? À m’aimer ? Qui sait ?
Et le rayon de ce regard, j’en suis sûr, je l’avais déjà quelque part rencontré, croisé, comme s’il m’eût inspecté ? Dans une lointaine contrée ?
Curieusement, ces yeux en quête de mon être me semblaient à la fois émaner de la foule, non loin de moi, et en même temps, me dominer de quelque part du-dessus, comme un phare de l’invisible, une perception quasi radiologique, mais assurément projetée de quelques pupilles féminines que je percevais comme bleutées...
Ô âme étrange qui semblait en quête de ma propre étrangeté, au risque de fusionner avec mon âme, qui donc pouvais-tu être !
Assurément, je connaissais cette âme (cette dame ?), et sans doute m’aimait-elle ? Mais qui, comment, de quelle manière, et pourquoi ne pas m’aborder franchement ?
Mon trouble devint tel que je n’aurais su dire si j’étais en contact avec une réincarnation, celle d’une mère aimante dont j’aurais pu avoir été l’enfant consolé, dans des années bien antérieures, ou si j’étais perçu (appelé ?) rétrospectivement par une enfant émue de me resituer dans son champ visuel, se souvenant du père charmant que j’avais été pour elle dans un passé relativement ancien… S’agissait-il du signe que m’adressait une autre vie, le mystère d’un être témoignant encore de sa présence aimante, mais dans un espace-temps qui n’était plus le sien ? Ni le mien ? Comment savoir ? Serions-nous tous parfois ainsi regardés par des yeux furtifs émanant de l’azur ? De qui sont ces regards ? Est-ce nos anges gardiens qui nous veillent et surveillent ?
Je lance un appel à mes lecteurs et surtout à mes lectrices : pourrait-il s’agir de vous ? Me cherchant dans votre mémoire en dormant ou rêvant ? Serai-je le songe d’une de vos nuits ?
Fûtes-vous ma fée de Pinocchio ? Une marraine familiale ? Ou la Reine de la nuit d’une fête villageoise, telle l’Adrienne ou l’Aurélia de Nerval ? Impérieuse, capable d’instiller à celui qu’elle regarde la vie sublime, aussi bien que la « mort dans l’âme ?
A-t-elle un nom ? Une voix, que je n’aurais plus droit d’entendre ?
Je relis en vain Verlaine :
« Son nom, je me souviens qu’il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la vie exila ? »
Mais non, elle est vivante et bien de notre espace-temps ! Comment savoir simplement si c’est bien moi que ses yeux recherchaient dans la foule ?
Est-ce la voisine du dessus qui m'épie ?
Suis-je un tantinet « dérangé » ?
Je vous laisse m’éclaircir ce mystère…
Le Songeur (09-03-2023)
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