Il est des matins incertains où l’on vacille, comme ayant perdu, au réveil, le chemin de « vérité » qu’on croyait suivre… Je dis « vérité » entre guillemets, car c’est bien un mot, s’il en existe, qui mérite cette précaution.
Bref, on ne voit plus où conduit sa propre pensée. On ne sait plus à quel réel, soudain, correspondait ce que l’on savait ou croyait savoir, entre illusion, désillusion, impression, évidence habituée, ou certitude douteuse.
Triste réveil que celui où tu ne sais plus trop ce que tu crois, et ne crois plus même ce que tu sais !
Non sans te demander, parfois, si tu es bien toi-même, si tu ne t’es pas trompé d’existence dans ta fonction « réveil »d’aujourd’hui ?
Te retrouves-tu réellement dans ta peau, dans ton corps, dans la vraie vie supposée être la tienne ? Et si le Sort t’avait muté ? (comme dans La Métamorphose de Kafka ?)
Qui ne vacille jamais au moment où il émerge des vapeurs de la nuit ?…
Tu avais cru. Tu croyais avoir trouvé. Puis tu t’aperçois qu’en réalité, ou « en vérité », tu croyais croire, mais qu’en fait, tu ne maîtrisais pas ce que tu pensais savoir.
« Je pense donc je suis. » Sans doute, mais que pensais-tu exactement, au sein de tes nuées de croyances contraires ?
Un jour, par exemple, tu as jugé infantile l’invention d’un « Péché originel » : quel mythe en effet ! Et puis, d’autres fois, le lendemain peut-être, c’est de nier l’existence du Mal, dans toute sa puissance et ses récidives qu’il t’a semblé puéril d’ignorer. Car le Mal existe, agissant et pensant, et tu l’as soudain rencontré…
Tu le rencontres même à l’œuvre, depuis six mois : le Mal, c’est Poutine, et pire que Poutine, c’est ce Pope orthodoxe qui croit en un Dieu qui aurait mis Poutine au pouvoir dans le bien de la Russie...
Et te voilà, doutant de tout, et donc, logiquement, doutant de tes doutes qui prolifèrent tous les matins… Si bien que les désillusions sont encore des illusions.
Nous flottons tous, au gré des modes et des moments !
J’ironise à juste titre sur « la foi du charbonnier » : celui-ci prend vraiment la matière noire pour lumineuse, alors qu’on n’y voit que du noir, fût-il brillant.
Et pourtant, je me dis aussi que c’est peut-être le charbonnier qui a raison de croire, en croyant voir ce qu’il croit. Il a ce qu’on appelle « les yeux de la foi. », comme d’autres ont par nature le regard incrédule…
Du côté des croyances religieuses, on croule sous les exemples ! Il y a des scientifiques en matière médicale qui se gaussent du dogme catholique de la « Bienheureuse Marie demeurée toujours vierge », comme il y a d’autres scientifiques que ce concept ne fait pas sourciller au motif que « rien n’est impossible à Dieu ».
Il y a même des savants pour penser que l’existence d’un Dieu est impensable, vu l’état du monde et les désordres de l’univers. Pourtant, d’autres savants, « croyants », imaginent sans peine que c’est un Dieu d’Amour qui joue avec les myriades du Chaos, avec ou sans lois, et contemple les galaxies se télescopant depuis l’Aube des Temps, Aube qui n’a peut-être pas même existé !
Où en es-tu, mon ami ? Où en sommes-nous ? Où en suis-je ?
Spontanément, l’être humain croit ce qu’il voit : ses yeux sont faits pour cela, encore qu’il faille nous méfier des mirages du désert, ou des artifices de nos semblables, les illusionnistes – tous ces grands fournisseurs d’opium du peuple…
Bien entendu, pour appréhender le Réel dans toute sa complexité, on est bien obligé de « prêter foi » à ce qu’on ne voit pas, en complétant le « voir » par le « savoir », en intégrant prudemment ce que d’autres nous disent avoir vu, avoir éprouvé, ou croire.
Il serait en effet invivable, pour chacun, de devoir constamment re-démontrer tout ce que nos frères humains ont établi comme « vrai » avant nous. Moyennant quoi, nous donnons tous dans l’erreur de partager trop vite ce que d’autres croient ou veulent nous faire croire, alors qu’il vaudrait mieux pratiquer le « doute méthodique » concernant les opinions, les croyances, les vérités du bon sens bien partagé que des croyants fervents, ou savants de bonne foi, nous invitent à adopter.
Tout est vrai, tout est douteux ! Et si tout ce qui est visible semble bien réel, il est vrai aussi que l’essentiel est invisible pour les yeux, comme l’affirme Saint-Exupéry dans Le Petit Prince.
Alors, devrons nous aller jusqu’à prétendre, comme un certain Jésus de Nazareth, « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! ». Car c’est aussi la porte ouverte à tous les songes et mensonges… Heureux aussi, donc, ceux qui savent à la fois croire et douter de ce qu’ils croyaient croire !
Je divague, donc je suis. Je pense donc je doute. Mais voilà, le doute méthodique est trop douloureux à vivre, puisqu’il dissout sans fin les fausses vérités qui nous rassuraient si bien.
Alors, alors, par peur de la désillusion, l’homme de foi en vient à « négationner » les négateurs. C’est si tentant…Et ce négationnisme du Doute négateur, qui nous protège en nous maintenant dans la cécité volontaire, a même débouché sur une suprême évidence, celle d’un Diable omniprésent qui passe son éternité à nous tromper.
Devons-nous croire au Diable en même temps qu’au bon Dieu ? Celui qui nous souffle nos doutes et Celui qui contre nos doutes en appelant notre crédulité ?
Que ceux qui nient un peu vite la réalité du Démon sachent au moins que nous avons une preuve tangible de son existence.
Car Satan existe bien. La preuve, c’est que la principale ruse du Diable c’est de faire croire qu’il n’existe pas. C’est votre doute qui prouve justement son existence. Il vous a bien attrapé !
Le Diable existe en faisant croire qu’il n’est pas là, et c’est bien en cela qu’il est malin, et même « le » Malin.
En ce qui me concerne, je trouve l’argument imparable.
En serais-je donc à croire au Diable ?
Et si, après tout, le Diable c'était moi ?
Impossible, puisque moi, je n'arrête pas en écrivant de faire croire que j'existe !
Il y a sans doute des matins où je ne sais plus où j’en suis…
Le Songeur (20-10-2022)
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