AFBH-Éditions de Beaugies 
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Les Jeudis du Songeur (270)

VARIATIONS SUR LA CONNERIE (FRANÇAISE ?)

Voici une anecdote :

Un jour, à une jeune fille qui se demandait à voix haute « QU’EST-CE QUE LA BEAUTÉ ? », le Prince charmant que je rêvais d’être apporta la réponse la plus simple en lui tendant un miroir… et son plaisir la rendit encore plus belle.

Dans le même esprit, un soir, lorsqu’un apprenti penseur se laissa aller à cette interrogation inepte : « QU’EST-CE QUE LA CONNERIE ? », il lui parut pertinent de répéter plusieurs fois à voix haute sa question pour que l’écho lui fasse comprendre que la réponse était dans le fait même de se poser pareille question.

Ce fut précisément mon cas, il y a peu, quand j’eus l’idée de traiter ce thème porteur dans la première chronique de cette Rentrée. D’autant plus que, m’en souvenant soudain avec stupeur, j’avais déjà commis pareille imprudence il y a cinq ans (11-02-2016), en me demandant Qu’est-ce qu’un con ? ce qui n’avait rien changé à la marche du monde…

Il est vrai que l’approche du sujet était un peu différente. Alors, que faire ? me répéter ou me renouveler ?

J’ai choisi de ne pas choisir, mais simplement, avant de redire ce que j’avais cru bien dire, profiter d’une provisoire défaillance de ma stupidité pour ajouter quelques variations utiles à la saisie du problème : car il ne suffit pas d’énumérer les divers types de cons qui fourmillent en nous et hors de nous pour comprendre ce qu’est l’essence de la connerie.

Écoutez-bien : il y a en France tout un peuple de cons, les uns d’origine gauloise, les autres venus d’ailleurs, tous performants dans la stupidité, mais inégalement, dans la mesure où ils demeurent tout de même inconstants dans leur performance. C’est ainsi : par l’effet d’un hasard naturel, des lueurs d’intelligence ou des accès de bon sens se saisissent par moments de nos esprits. Nous sommes des cons intermittents. De quelque variété qu’il soit, le con de base se trouve être quelqu’un qui se montre inconstant dans la bêtise.

Mais voilà : la Connerie, c’est tout autre chose que la somme des cons. Dans notre douce France et l’Administration de son État, ce qui caractérise la spécificité de la Connerie, c’est sa constance foncière, systémique, indéboulonnable. J’ai eu bien tort de titrer un jour l’une de mes chroniques « De la Connerie Institutionnelle », car c’était-là un pléonasme à la con. La Connerie, chez nous, est institutionnelle. D’où cette aberration sur laquelle les historiens feraient bien de réfléchir : comment un peuple de cons inconstants peut-il engendrer, pour le gouverner, une connerie Pérenne ? Il y a là une réalité qui frise l’essence platonicienne.

Pour mieux rendre mon idée, j’alléguerai une plaisanterie que vous connaissez peut-être :

— Question : « Quelle est la différence entre un Enarque et un TGV ? »

— Réponse : « Quand le TGV déraille, lui, au moins, il s’arrête ».

Ce n’est sans doute qu’une plaisanterie. Mais cette plaisanterie me suggère une formulation que j’espère parlante :

La Connerie, c’est un TGV qui ne s’arrête pas lorsqu’il déraille. Au risque d’écraser les cons qui se mettent en travers.

Des exemples ? Eh bien, sans vouloir polémiquer, on en récolte sans peine dans la récente gestion française de la pandémie du ou de la Covid-19.

Rappelez-vous : il se trouve qu’un savant réputé, nommé Perronne, a parfaitement analysé la logique du TGV déraillant que formèrent les Autorités de la Santé sous ce titre : Y a-t-il une bêtise qu’ils n’ont pas commise ? Mais notre pauvre con de gaulois, tout en ayant si bien décrit le pilotage du TGV, a seulement commis la bêtise de le révéler au public ! Résultat, quelques mois plus tard, le pilote provisoire du TGV déraillant, un certain Martin Hirsch, dont plus d’un âne porte le prénom, compensant son défaut de lucidité par un surplus de méchanceté, réussit à destituer sans motif le professeur renommé de son Service, donnant raison au sous-titre du livre qui l’avait mis en cause (Covid 19 : l’union sacré de l’incompétence et de l’arrogance).

Au même moment, tout le monde le sait, un autre Con réputé, mondialement connu, le Professeur Raoult, commettant aussi l’erreur de critiquer les errances du même TGV, dut essuyer les foudres d’une Communauté dont la « Connerie » se disait « scientifique », vu qu’elle roulait en 1ère classe du traintrain à grande vitesse de la Connerie à la française. Il est vrai qu’on entendait parfois dans les médias quelques cons atteints de bon sens sporadique déclarer : « Le professeur Raoult ne dit pas que des conneries. » Et c’était justement son tort : aux cons inconstants, qui par erreur énoncent des vérités, jamais ne pardonnent les chefs de train au pouvoir du TGV Connerie…

Mais cessons de nous laisser aller à ces variations con-testables : il est sans doute grand temps de revenir à des considérations plus concrètes et consensuelles, en reprenant notre approche phénoménologique de la question : QU’EST-CE QU’UN CON ?

*

Méthodiquement, philosophiquement, et si possible humblement, sans oublier le principe socratique majeur (« Connais-toi toi-même ») essayons de décrire la diversité haute en couleur du peuple de cons plus ou moins sympathiques que nous constituons. Irrecevable serait l’expression d’un complexe revanchard du genre : « Le con, c’est celui qui me prend pour un con », ou une définition pragmatique de type : « Un con, c'est quelqu'un qui ne conduit pas comme moi. »

À l’évidence, deux problématiques s’imposent à notre recherche :

1/ Quelle lumière apporte au débat la dichotomie Nature/Culture ?

2/ Comment fonctionne la dialectique Sujet/Objet dans l’approche scientifique du phénomène ?

En tout état de cause, on évitera de se tromper de cible. Par exemple, en s’imaginant que la réplique « Casse-toi, pauvre con ! » vise la connerie, alors qu’elle fustige surtout la pauvreté.

Une première problématique tombe sous le sens, au point qu’elle ne manque pas de pulluler sur Internet. Un philosophe amateur l’énonce clairement : « Est-on connard par nature, ou par culture ? ». Pour certains, quand on est con, c’est pour la vie entière ; pour d’autres, on ne naît pas con, on le devient… À vous de choisir. Notez que j’ai bien écrit « connard » avec deux « n », car ça s’énonce plus pleinement. En tant que lexicographe, je pose qu’au vrai connard, il faut deux « n », car ce sont-là ses lettres de noblesse.

Encore faudrait-il préciser si l’on parle de l’être humain pris isolément ou collectivement. Un auteur n’envisageant que la seconde option a pris le parti de discriminer certains pays, je cite (en résumant) : « Certaines cultures produisent beaucoup plus de connards que d’autres. Ainsi, le Japon est pauvre en connards tandis que l’Italie en serait la terre de prédilection, avec l’exemple de Silvio Berlusconi, connard par excellence. Il en va de même pour les différences entre sexes. Si l’on trouve beaucoup plus de connards parmi les hommes que parmi les femmes (les secondes ayant plutôt tendance à être des salopes), c’est parce que les hommes sont plus souvent éduqués à s’affirmer et à se faire valoir, deux qualités indispensables à tout bon connard qui se respecte. »

Ça se discute. Personnellement, je préfère l’approche historique d’Yvan Audouard dans sa Lettre aux Cons (dédiée à Michel Droit, « qui connaît bien le problème »). Audouard part de cet axiome : « Le capital de connerie dont disposent les êtres humains à leur naissance varie selon les individus. Mais les chances de le faire fructifier sont égales pour tous. » Chacun se trouve donc responsable de son niveau en la matière. Pour une fois, l’Éducation nationale, dont je fus membre, n’a rien à se reprocher. Position éminemment démocratique, qui laisse au citoyen le choix entre s’auto-fructifier tout seul, ou s’adonner au miracle d’une dynamique de groupe aux effets toujours multiplicateurs, de petits cons comme de petits pains.

Une seconde problématique est plus difficile à cerner. Elle pose que tout observateur, du fait même de son observation, influe sur la réalité qu’il croit objectivement constater. Ainsi, l’oscillation de ma propre connerie peut me conduire, selon les moments, à décréter que tous les hommes sont cons, ou qu’ils sont tous hyper-intelligents, ou encore qu’ils sont tous égaux en ce domaine, bien que certains le soient plus que d’autres.

Le scientifique avisé doit donc nettoyer son microscope intérieur, et se garder de croire à la génération spontanée d’une connerie qui ne serait que projection de la sienne.

Il doit aussi fuir l’excès inverse : nier le fait de la connerie par peur d’y choir. Et d’y choir justement, en tombant dans le déni de réalité du discours politiquement correct selon lequel « La connerie n’existe pas, elle n’est que une cessation (provisoire) de l’intelligence. » Voire !

Cet adage rassure pourtant en ce qu’il renforce le concept de « con intermittent » (comme ceux du spectacle), auquel un internaute se rallie avec fougue : « Tous les cons ne le sont pas à plein temps ! ». Ce qui ouvre un marché colossal à l’industrie pharmaceutique qui pourrait tenter de remédier au problème par des pilules innovantes. Voire par des anti-virus à Arn messager contre les pandémies d’imbécillité collective, jusqu’à ce que soient élaborés des passe-sanitaires facultatifs. Encore faut-il que les patients désirent vraiment sortir de leurs trous de lucidité passagers, et non s’y complaire. Il existe en effet une addiction à la connerie, qui, dit-on, se répandrait après la couronne de laurier nommée baccalauréat.

On notera que cette problématique, pas plus que la précédente, ne permet de saisir en quoi consiste réellement le processus de connification. Pour compléter notre information, il nous faut aller plus loin, et chercher sur le Web ce que le Larousse n’explicite pas.

Complexité du phénomène.

Voici par exemple la leçon de Wikipedia : « Con est un mot polysémique et un substantif trivial qui désigne à l'origine le sexe de la femme. Au sens figuré, le mot con est aussi un mot vulgaire en général employé comme insulte dans les pays francophones, mais dans un sens très atténué, voire amical, dans le Midi de la France. Il désigne une personne stupide, naïve ou désagréable, de même que ses dérivés « connard » et « connasse ». Con a aussi un emploi impersonnel, souvent dépréciatif dans les expressions « jouer au con », « bande de cons », etc. Le mot dérivé « connerie » désigne une erreur, une bêtise, la stupidité en général. Définition basique, dont l’un des intérêts non négligeables est de souligner l’humanisme profond des gens du Sud à l’égard de leurs congénères ou condisciples. »

Intéressante approche du concept. Mais on ne comprend pas très bien en quoi l’insulte devient « humaniste » chez les gens du Sud, à moins de ne l’adresser qu’à soi-même.

De leur côté, les synonymes que nous livre Le Petit Robert ne laissent guère de doute sur la virulence du terme : « Idiot, imbécile, crétin, débile, conneau, couillon, enflé, enfoiré, gland, andouille… Petit con, gros con, tête de con, sale con, vieux con, dernier des cons, roi des cons, connasse, conne de la pire espèce, con comme la lune, con comme un balai »…

Impossible de croire qu’une telle abondance lexicale puisse ne pas reposer sur la réalité !

Élevons donc la question : si l’apport des lexicographes ne suffit pas, l’appel aux références littéraires nous convaincra de l’universalité de la chose. En voici un florilège qui nous convaincra qu’il serait difficile d’aller plus loin dans la compréhension du con moyen, que celui-ci le soit par nature ou par choix existentiel :

« Mieux vaut ne rien dire et passer pour un con, que l'ouvrir et ne laisser aucun doute à ce sujet. (Sacha Guitry)

« Rien n'est plus jouissif à un « pas con » que d'être pris pour un con par un con. (Frédéric Dard)

« Traiter son prochain de con n'est pas un outrage, mais un diagnostic. (F. Dard)

« Le con meurt, mais sa connerie reste. Le con est si intensément con que l’instant arrive où il n’a même plus besoin d’être là pour être con. (F. Dard)

« Il n'est absolument pas nécessaire d'être con pour vivre parmi les cons. J'ai essayé, on peut ! (F. Dard)

« Les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît. (Michel Audiard)

« Je pense que le jour où on mettra les cons sur orbite, t'as pas fini de tourner. (M. Audiard)

« Un pigeon, c'est plus con qu'un dauphin, d'accord... mais ça vole. (M. Audiard)

« Je ne parle pas aux cons, ça les instruit. (M. Audiard)

« La connerie, c'est la décontraction de l'intelligence ! (Serge Gainsbourg)

« Il y a de plus en plus de cons chaque année. Eh ben cette année, j'ai l'impression que les cons de l'année prochaine sont déjà là ! (Coluche)

« La connerie est à la fois évidente, indémontrable, et infinie. Ce sont les attributs mêmes de la divinité. (Yvan Audouard)

« Si nos dirigeants nous prennent pour des cons, c’est pour se sentir représentatifs. (perso)

« Le con, c’est celui qu’on essaie (en vain) de ne pas devenir. (perso) »

Et l’on n’oubliera pas le célèbre postulat d'Einstein que me rappelle une amie qui me veut du bien, sachant que notre savant bien élevé n’ose pas trop appeler les choses par leur nom : Il n’existe que deux choses infinies, l’univers et la bêtise humaine… Mais pour l’univers, je n’ai pas de certitude absolue.

On voit que le sujet est loin d’être épuisé. Pour ma part, j’ajouterais à ces considérations scientifiques deux petites impressions (subjectives). D’une part, que l’existence du con isolé, lorsqu’on y pense, est aussi profondément émouvante* qu’est insupportable l’arrogance du con majoritaire. D’autre part, que l’on mesure souvent avec l’âge à quel point l’injure « Mort aux cons ! » peut être suicidaire. Mieux vaut clamer autour de soi « Vive l’intelligence ! », au risque d’être progressivement ostracisé. Car il est difficile de mettre à la fois de son côté les rieurs et les cons. Y compris quand ce sont les mêmes.

Le Çongeur  (7-10-2021)


* D’où cette nouvelle Béatitude :

Heureux celui qui aime ses frères en connerie, il sera lui-même compris !



(Jeudi du Songeur suivant (271) : « J’AURAIS VOULU TE DIRE » )

(Songe à ne pas oublier précédent (XV) : « CONNAÎTRE LES MOTS POUR COMPRENDRE LE MONDE » )