AFBH-Éditions de Beaugies 
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Les Jeudis du Songeur (22)

J’AI INTERVIEWÉ DIEU

Je songe à cette heure étrange, diurne ou nocturne je ne sais, où j’ai interviewé Dieu. J’étais un peu excédé de toute cette littérature où les humains font parler Dieu, les uns se disant traversés par sa parole (prophètes), les autres par son Esprit (théologiens), d’autres encore affirmant l’avoir côtoyé en tant que Verbe incarné (apôtres), ou rencontré en une visite éclair, tantôt sur des chemins de Damas, tantôt au fond de grottes obscures. Loin de moi l’idée de mépriser tant de communications aussi passionnantes que subjectives ! Mais moi, simplement, je rêvais d’interroger le Créateur en direct, avec une objectivité de journaliste qui, en trois questions, saisit les clefs d’une œuvre dont l’auteur mérite d’être reconnu.

Je n’ai pas pris rendez-vous. Dieu étant par nature omniprésent, il m’a suffi de faire le vide en moi : une fois tues les « voix du monde » qui parasitent notre for intérieur, c’est alors Sa voix que l’on entend. C’est ainsi que j’ai noué contact avec Lui. J’ai formulé mon humble requête : « Seigneur Dieu, m’autorises-Tu à Te poser trois questions ? » Je compris à son silence qu’il ne disait pas non. J’ai alors enclenché le petit dictaphone qui me sert à enregistrer toutes sortes de musiques ou de voix, fussent-elles intérieures. Et voici la fidèle transcription de notre dialogue :

« Moi : Seigneur, il n’y a pas de création sans une intention majeure, dont toute l’œuvre procède. Voici donc ma première question : qu’as-Tu voulu faire exactement en engendrant cet univers, et tout ce qu’il contient ? Cette fabuleuse idée T’est-elle advenue d’un pur hasard, ou d’une nécessité intérieure ? T’ennuyais-tu, sans nous ? (je n’ose le croire) Désirais-Tu, en tant qu’artiste, Te mirer dans ton œuvre ? T’admirer dans la gloire de Tes soleils couchants ? Te prouver à Toi-même la puissance de Ton génie ? Ou voulais-Tu, comme un chacun, aimer et être aimé ? Au risque d’humaniser Ta Divinité ?

Dieu :

Moi : Oh, je comprends : ce fut tout cela à la fois, évidemment ! Tes réponses muettes sont lumineuses ! Et comme j’ai honte d’oser T’interpeller, alors qu’il suffit de contempler les évidences criantes de Ton œuvre ! Pardonne-moi, Seigneur ! Et puisque le pourquoi de la Création est sans mystère, j’enchaînerai tout de suite sur le comment ? Quelle fut donc, Seigneur, Ta démarche créatrice ? As-Tu tout programmé dès le départ, ou modifié ton projet en cours de route, comme ces écrivains qui se plaisent à rêver leur œuvre sans trop savoir où ils vont ? As-tu esquissé plusieurs types de mondes, plusieurs types d’hommes, – avant d’aboutir à la perfection actuelle ? As-tu peiné à créer l’Espace/Temps, à conduire l’Évolution  ? Ton premier coup fut-il un coup de maître ?

Dieu :

Moi : Oui, bien sûr, tu avais tout pensé dès l’origine ! Une fois encore, les réponses sont dans la question. Quel besoin avons-nous de nous faire certifier par des personnages haut-placés ce qui tombe sous le sens ? Merci, Seigneur Dieu, pour ces assurances claires et nettes que Ton silence apporte au débat, et j’en viens sans ambages à ma troisième interrogation, que je formulerai en trois points : Est-ce que l’univers existe réellement ? Est-ce que j’existe, moi aussi ? Et Toi-même, en vérité, en vérité, est-ce que Tu existes ?

Dieu :

Moi : Formidable ! J’en étais sûr ! Tu T’es magnifiquement tiré de ma question-piège. La réponse « non » eût été contradictoire, car répondre, c’est exister. Quant à dire « oui », c’eût été redondant ! Tu as pensé que Tu n’avais pas à confirmer par des mots le « fait d’exister » que prouve Ta présence. Et si Tu as pensé, c’est que Tu es. Et moi aussi. Donc, nous ne rêvons pas : nous sommes. Merci, Seigneur Dieu, pour tout ce que Tu m’as laissé entendre ! »

Ravi de la chaleur de notre échange, je n’ai pu m’empêcher de soumettre à Dieu une dernière question, qui me trouble soir et matin :

— Seigneur, qu’attends-Tu de moi ?

— Tu veux vraiment le savoir ? répondit-il, en tempérant son courroux d’un bâillement.

— Euh… n, non.

Et j’ai compris alors que ce n’était pas la nature de mes questions qui L’indisposait, mais l’heure que j’avais choisie ! Oui, Dieu, comme moi, avait horreur d’être dérangé durant Sa sieste. Nous avions ce formidable point commun ! Moi, c’est entre 13-14 heures. Mais Lui… allez savoir!

Le Songeur  (19-06-14)



(Jeudi du Songeur suivant (23) : « LA SOCIÉTÉ DES MANGEURS »)

(Jeudi du Songeur précédent (21) : « SYMPHONIE INACHEVÉE »)