[« Les médias pensent comme moi ! », fragment n°1]
« Déchaîne ton cœur »
Dans une époque dominée par la rage de vivre, de vaincre et de vendre, les concepteurs de ce message très catholique s’inscrivent délibérément dans l’ordre de la charité-rock. Finies la générosité trop pensée et la pitié trop intérieure, suspectes d’une attitude doublement rétrograde : parce que réfléchie, parce que personnelle. L’heure est aux sympathiques déchaînements dans tous les domaines — corps, cœur, esprit. Les déchaînements de la compassion vont sans doute neutraliser ceux de la violence, et les bombes de la culture faire reculer les ravages de l’analphabétisme — une grande campagne nationale n’appelle-t-elle pas les citoyens à la « Fureur de lire » ? (Option quantitative et extravertie, grande dévoration de textes, saccage collectif d’arbres à papier… Fureur ou ferveur de lire, telle est peut-être la question !)
On comprend bien, on comprend trop les louables inten-tions qui président à de tels slogans. Il faut s’inscrire dans l’air du temps, se mettre en phase avec la sensibilité de l’époque. Le Secours catholique a voulu parler le langage des jeunes, ou plutôt, le langage que l’on prête à tous les jeunes, censés incarner l’avenir rythmé, la cadence irrésistible du monde moderne. Mais en adoptant ce style, si semblable aux appels publicitaires qui flattent l’égoïsme des masses, ce slogan se place au même plan que ses rivaux : celui des comportements mimétiques, un de plus, un de moins. Le jeune est invité, non à se donner, mais à se déchaîner, c’est-à-dire incité à la non-maîtrise de lui-même, et ceci, au nom d’un mouvement collectif qu’implique toujours le lancement d’une campagne. Rien à voir avec l’esprit du don. Celui qui déchaîne aujourd’hui son « cœur » pour faire comme les autres, à quels déchaînements, proposés par le monde, se livrera-t-il demain ?
Supposons nos auteurs de bonne foi — de bonne foi chrétienne. N’ont-ils pas été piégés, en lançant ce message, par l’idéologie ambiante et le « langage du monde » ? Traversés par le discours anonyme, ne s’en sont-ils pas faits les propagateurs ?
Désenchaîne ton cœur, leur eût dit la sagesse antique.
